
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) s’impose comme un enjeu majeur pour les organisations françaises. Au-delà des initiatives volontaires, un cadre réglementaire de plus en plus strict encadre les pratiques RSE. Quelles sont les obligations légales qui s’imposent aux entreprises en matière de RSE ? Entre reporting extra-financier, devoir de vigilance et lutte contre la corruption, le législateur renforce progressivement les exigences. Décryptage des principaux dispositifs en vigueur et des évolutions à venir dans un contexte de transition écologique et sociale.
Le cadre légal de la RSE en France : une construction progressive
La réglementation française en matière de RSE s’est construite par étapes depuis le début des années 2000. Plusieurs lois structurantes ont posé les jalons d’un cadre contraignant pour les entreprises :
- La loi NRE de 2001 sur les Nouvelles Régulations Économiques
- La loi Grenelle II de 2010
- La loi relative à la transition énergétique de 2015
- La loi Sapin II de 2016 sur la transparence et la lutte contre la corruption
- La loi sur le devoir de vigilance de 2017
Ces différents textes ont progressivement élargi le périmètre des obligations RSE et le champ des entreprises concernées. Initialement centrées sur les grandes sociétés cotées, les exigences s’étendent désormais à un spectre plus large d’organisations.
Le cadre légal français s’inscrit également dans un contexte européen et international, avec notamment la directive européenne sur le reporting extra-financier de 2014 ou les Objectifs de Développement Durable de l’ONU. La France se distingue toutefois par un niveau d’exigence élevé, faisant figure de précurseur sur certains aspects comme le devoir de vigilance.
Cette construction progressive traduit une volonté politique d’encadrer plus strictement les pratiques des entreprises, au-delà des démarches volontaires. L’objectif est de généraliser la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux dans les stratégies et les opérations des organisations.
Le reporting extra-financier : une obligation de transparence renforcée
L’obligation de reporting extra-financier constitue l’un des piliers du cadre réglementaire RSE en France. Instaurée dès 2001 par la loi NRE, cette exigence de transparence s’est considérablement renforcée au fil des années.
Aujourd’hui, les grandes entreprises françaises sont tenues de publier annuellement une Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF). Ce document doit présenter :
- Le modèle d’affaires de l’entreprise
- Les principaux risques RSE liés à son activité
- Les politiques et procédures de diligence raisonnable mises en œuvre
- Les résultats de ces politiques et des indicateurs de performance clés
La DPEF doit couvrir les enjeux environnementaux, sociaux, sociétaux, de respect des droits humains et de lutte contre la corruption. Elle fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant.
Le périmètre des entreprises concernées s’est élargi au fil du temps. Sont désormais soumises à cette obligation :
- Les sociétés cotées de plus de 500 salariés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires
- Les sociétés non cotées de plus de 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires
Au total, plus de 3 500 entreprises françaises sont concernées par cette obligation de reporting. La qualité et l’exhaustivité des informations publiées font l’objet d’un examen attentif de la part des parties prenantes (investisseurs, ONG, etc.).
Le cadre du reporting extra-financier est appelé à évoluer prochainement avec la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Celle-ci prévoit d’étendre encore le périmètre des entreprises concernées et de renforcer les exigences en matière d’informations publiées.
Vers une standardisation accrue du reporting
L’un des enjeux majeurs pour les prochaines années est la standardisation des informations extra-financières. L’objectif est de faciliter la comparabilité entre entreprises et de fiabiliser les données publiées. Plusieurs référentiels coexistent actuellement (GRI, SASB, TCFD, etc.) mais un mouvement de convergence est en cours, notamment sous l’impulsion européenne.
Le devoir de vigilance : une obligation pionnière en France
La loi sur le devoir de vigilance, adoptée en 2017, constitue une avancée majeure en matière de RSE. Elle impose aux grandes entreprises françaises de mettre en place des mesures de vigilance pour prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, y compris chez leurs fournisseurs et sous-traitants.
Concrètement, les entreprises concernées doivent élaborer et publier un plan de vigilance comprenant :
- Une cartographie des risques
- Des procédures d’évaluation des filiales, sous-traitants et fournisseurs
- Des actions d’atténuation des risques et de prévention des atteintes graves
- Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements
- Un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre
Cette loi s’applique aux entreprises françaises employant au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde. Environ 250 entreprises sont actuellement concernées.
La particularité de cette loi réside dans son caractère contraignant et dans l’étendue de la responsabilité qu’elle fait peser sur les entreprises. En cas de manquement, celles-ci peuvent être mises en demeure de respecter leurs obligations. Si le manquement persiste, elles s’exposent à des sanctions civiles et à l’engagement de leur responsabilité.
Plusieurs contentieux ont déjà été engagés sur le fondement de cette loi, notamment contre des entreprises pétrolières ou agroalimentaires. Ces procédures illustrent la portée potentiellement large du devoir de vigilance.
Un modèle qui fait école
Le devoir de vigilance à la française suscite un intérêt croissant au niveau international. Plusieurs pays européens s’en sont inspirés pour élaborer leur propre législation (Allemagne, Pays-Bas). Une directive européenne sur le devoir de vigilance est également en préparation, qui pourrait s’inspirer largement du modèle français.
La lutte contre la corruption : des obligations renforcées
La loi Sapin II de 2016 a considérablement renforcé les obligations des entreprises en matière de lutte contre la corruption. Elle impose aux grandes entreprises (plus de 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) de mettre en place un dispositif anti-corruption comprenant :
- Un code de conduite
- Un dispositif d’alerte interne
- Une cartographie des risques de corruption
- Des procédures d’évaluation des tiers
- Des procédures de contrôles comptables
- Un dispositif de formation
- Un régime disciplinaire
- Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne
Ces mesures visent à prévenir et détecter les faits de corruption ou de trafic d’influence en France comme à l’étranger. Leur mise en œuvre est contrôlée par l’Agence Française Anticorruption (AFA), qui dispose de pouvoirs de sanction.
La loi Sapin II a également instauré la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), un mécanisme transactionnel permettant aux entreprises de négocier une amende en échange de la mise en conformité de leurs pratiques. Plusieurs CJIP ont déjà été conclues pour des montants significatifs.
Ces dispositions s’inscrivent dans un mouvement international de renforcement de la lutte contre la corruption, illustré notamment par le Foreign Corrupt Practices Act américain ou la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption.
Vers une extension du champ d’application
Le champ d’application de ces obligations anti-corruption pourrait être étendu à l’avenir. Des réflexions sont en cours pour abaisser les seuils d’application et inclure davantage d’entreprises de taille intermédiaire dans le dispositif.
Les enjeux environnementaux : des obligations croissantes
Face à l’urgence climatique, les obligations légales des entreprises en matière environnementale se multiplient. Plusieurs dispositifs structurants ont été mis en place ces dernières années :
La loi relative à la transition énergétique de 2015 a instauré l’obligation pour les investisseurs institutionnels de communiquer sur la prise en compte des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans leur politique d’investissement. Elle a également renforcé les obligations de reporting des entreprises sur leurs émissions de gaz à effet de serre.
La loi Énergie-Climat de 2019 a introduit de nouvelles exigences en matière de reporting climatique pour les institutions financières. Celles-ci doivent désormais publier des informations sur les risques associés au changement climatique et leur stratégie bas-carbone.
La loi Climat et Résilience de 2021 a instauré de nouvelles obligations pour les entreprises, notamment :
- L’affichage environnemental sur certains produits et services
- L’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles
- Le renforcement des critères environnementaux dans les marchés publics
Ces différentes mesures s’inscrivent dans l’objectif de neutralité carbone fixé par la France à l’horizon 2050. Elles visent à orienter les stratégies et les investissements des entreprises vers une économie bas-carbone.
La taxonomie verte européenne
Au niveau européen, la mise en place de la taxonomie verte va considérablement impacter les obligations de reporting des entreprises. Ce système de classification des activités durables sur le plan environnemental va imposer de nouvelles exigences de transparence, notamment pour les acteurs financiers.
Perspectives : vers un renforcement du cadre légal de la RSE
Le cadre légal de la RSE en France est appelé à se renforcer dans les prochaines années, sous l’effet conjugué des initiatives nationales et européennes. Plusieurs évolutions majeures se dessinent :
L’extension du devoir de vigilance à l’échelle européenne, avec un projet de directive actuellement en discussion. Celle-ci pourrait élargir le champ d’application du dispositif et renforcer les mécanismes de contrôle et de sanction.
Le renforcement du reporting extra-financier avec la directive européenne CSRD. Celle-ci prévoit d’étendre les obligations de reporting à un plus grand nombre d’entreprises et d’harmoniser les standards de publication.
L’intégration croissante des enjeux climatiques dans la réglementation financière, avec notamment la généralisation des stress tests climatiques pour les banques et les assurances.
Le développement de la finance durable, avec de nouvelles obligations en matière de transparence sur les produits financiers et l’intégration des critères ESG dans les processus d’investissement.
Ces évolutions traduisent une volonté politique forte d’accélérer la transition vers une économie plus durable et responsable. Les entreprises vont devoir s’adapter à ce cadre réglementaire de plus en plus exigeant, qui impose une véritable transformation de leurs modèles d’affaires et de leurs pratiques.
Vers une harmonisation internationale ?
L’un des enjeux majeurs pour l’avenir sera l’harmonisation des cadres réglementaires au niveau international. La multiplication des initiatives nationales et régionales pose en effet des défis en termes de cohérence et de compétitivité pour les entreprises opérant à l’échelle mondiale.
Des initiatives comme les standards de l’ISSB (International Sustainability Standards Board) visent à établir un socle commun pour le reporting extra-financier. Leur adoption généralisée pourrait faciliter la comparabilité des informations et renforcer la crédibilité des démarches RSE.
Quels impacts pour les entreprises ?
Le renforcement du cadre légal de la RSE a des implications majeures pour les entreprises françaises. Celles-ci doivent adapter leurs organisations et leurs processus pour se conformer à ces nouvelles exigences :
- Mise en place de systèmes de collecte et de reporting des données extra-financières
- Renforcement des processus de gestion des risques, notamment sur la chaîne d’approvisionnement
- Développement de nouvelles compétences en interne (RSE, compliance, etc.)
- Intégration des enjeux RSE dans la gouvernance et la stratégie
Ces évolutions représentent un coût significatif pour les entreprises, en particulier pour les PME qui disposent de moins de ressources. Elles peuvent toutefois être source d’opportunités en termes d’innovation, d’attractivité et de performance à long terme.
Le respect des obligations légales en matière de RSE devient par ailleurs un enjeu de réputation et de compétitivité pour les entreprises. Les manquements sont de plus en plus scrutés et sanctionnés, tant par les autorités que par les parties prenantes (investisseurs, consommateurs, ONG).
L’enjeu de l’accompagnement des entreprises
Face à la complexité croissante du cadre réglementaire, l’accompagnement des entreprises dans leur mise en conformité devient un enjeu majeur. Des initiatives publiques et privées se développent pour soutenir les organisations, en particulier les PME, dans l’appropriation et la mise en œuvre de ces nouvelles obligations.
Le renforcement du cadre légal de la RSE en France traduit une évolution profonde des attentes de la société envers les entreprises. Au-delà de la conformité réglementaire, c’est bien une transformation en profondeur des modèles économiques qui est attendue, pour répondre aux défis environnementaux et sociaux actuels. Les entreprises qui sauront anticiper ces évolutions et en faire un levier de performance seront les mieux positionnées pour réussir dans ce nouveau contexte.